Damon Knight : Comment servir l’homme 

Damon Knight : Comment servir l’homme 

Synopsis : « Comment servir l’homme » (To Serve Man) est une nouvelle de Damon Knight, publiée en novembre 1950 dans le magazine Galaxy Science Fiction. Des extraterrestres appelés Kanamites arrivent sur Terre avec la promesse d’utiliser leur technologie avancée pour éradiquer la faim, la guerre et les maladies. Bien que leur apparence grotesque suscite la méfiance au début, les tests au détecteur de mensonges semblent confirmer leur sincérité. Au milieu de l’enthousiasme général, un traducteur sceptique décide d’étudier leur langue, convaincu que derrière tant d’altruisme se cache un motif caché.

Damon Knight : Comment servir l’homme 

Comment servir l’homme 

Damon Knight
(Nouvelle complète)

Les Kanamites n’étaient pas très beaux, il est vrai. Ils ressemblaient un peu à des gorets et un peu à des hommes. Ce n’est pas là une combinaison très heureuse. En les voyant pour la première fois, on était horrifié et c’était pour eux un terrible handicap. Lorsqu’une créature d’aspect démoniaque tombe des étoiles pour vous offrir un cadeau, votre premier mouvement est de refuser. 

Je ne sais sous quel aspect on imaginait des visiteurs interstellaires, – ceux qui avaient réfléchi à la question tout au moins. Des anges, peut-être, ou des êtres beaucoup trop différents de nous pour faire naître véritablement la répulsion. C’est peut-être la raison pour laquelle ils inspirèrent semblable dégoût lorsqu’ils atterrirent dans leurs immenses astronefs et qu’on vit quel était leur véritable aspect. 

Les Kanamites étaient petits de stature et très velus – couverts de poils épais, hérissés et d’un brun grisâtre, sur toute leur personne abominablement dodue. Le nez rappelait un groin, les yeux étaient petits et ils avaient des mains épaisses avec trois doigts seulement. Ils portaient un harnachement de cuir vert et des culottes courtes, mais je crois que leurs shorts étaient uniquement une concession à notre conception de la décence publique. Leurs vêtements étaient d’une coupe très à la mode, avec pattes aux poches et martingale dans le dos. Les Kanamites, en tout cas, n’étaient point dépourvus d’humour ; leur mise le démontrait. 

Ils étaient trois à cette session des Nations Unies, et je ne saurais rendre l’impression étrange qu’on éprouvait à les voir là, au milieu d’une solennelle séance plénière – trois créatures replètes, à l’air porcin, en shorts verts, siégeant à la longue table au-dessous de la tribune en présence des délégués de toutes les nations. Ils étaient assis, regardant poliment chaque orateur. Leurs oreilles plates pendaient sur les écouteurs. Je crois que, par la suite, ils assimilèrent toutes les langues humaines mais, à cette époque, ils ne savaient encore que le français et l’anglais. 

Ils semblaient parfaitement à leur aise – et cette raison, ainsi que leur humour, me les rendait sympathiques. Mais je faisais partie d’une minorité. Ils déclaraient très simplement qu’ils désiraient nous venir en aide, et je les croyais. Évidemment, en tant que traducteur aux Nations Unies, mon opinion ne comptait guère. Mais je considérais leur venue comme le plus heureux événement qui se fût jamais produit sur terre. 

Le délégué de l’Argentine se leva et déclara que son gouvernement s’intéressait à la démonstration d’une nouvelle source d’énergie bon marché qu’avaient donnée les Kanamites lors de la précédente séance, mais que ce gouvernement ne pouvait prendre d’engagements définitifs quant à sa politique future sans un examen beaucoup plus approfondi. 

C’était ce que disaient tous les délégués, mais il me fallut prêter une attention toute particulière au señor Valdes, car il avait tendance à bafouiller et son élocution était défectueuse. Je me tirai cependant de la traduction à mon honneur, en dépit d’une ou deux hésitations passagères, puis je me branchai sur la ligne polono-anglaise pour voir ce que faisait Grégori avec Janciewicz. Janciewicz était la croix que devait porter Grégori tout comme Valdes était la mienne. 

Janciewicz répéta les observations précédentes avec quelques variations idéologiques, puis le secrétaire général s’adressa au délégué de la France qui introduisit le docteur Lévêque, le criminologiste ; et une quantité considérable d’instruments compliqués furent apportés dans la salle. Le docteur Lévêque fit remarquer que la question que se posaient de nombreuses personnes avait été fort bien exprimée par le délégué de l’U.R.S.S. lors de la précédente session, lorsqu’il avait demandé : « À quels motifs obéissent les Kanamites ? Quel est leur but en nous offrant ces cadeaux sans précédents tout en ne demandant rien en échange ? » 

Le docteur poursuivit alors : « À la requête de plusieurs délégués, et avec le plein assentiment de nos visiteurs les Kanamites, mes collaborateurs et moi avons pratiqué sur ces Kanamites une série de tests avec les appareils que vous voyez devant vous. Ces tests vont être répétés. » 

Un murmure parcourut la salle. On entendit crépiter les ampoules flash et l’une des caméras de télévision s’avança pour être mise au point sur le panneau de commande de l’équipement du docteur. En même temps, le gigantesque écran de télévision derrière le podium s’éclaira et l’on vit la face blafarde de deux cadrans, chacun avec son index marquant zéro, puis une bande de ruban en papier et la pointe d’un stylet reposant sur elle. 

Les aides du docteur fixaient des fils métalliques aux tempes de l’un des Kanamites, lui enroulaient un tuyau de caoutchouc enrobé de toile autour de l’avant-bras et lui collaient quelque chose dans la paume de la main droite. 

Sur l’écran, nous vîmes le ruban de papier se mouvoir tandis que le stylet y traçait un lent dessin zigzaguant. L’une des aiguilles fut agitée de soubresauts rythmiques ; l’autre bondit sur le cadran puis s’immobilisa au même point, légèrement frémissante. 

— Voici les instruments standards qui servent à éprouver la vérité d’une affirmation, dit le docteur Lévêque. Notre premier objet, puisque la physiologie des Kanamites nous est inconnue, a été de déterminer si oui ou non ils réagissaient à ces tests à la manière des êtres humains. Nous allons maintenant répéter l’une des nombreuses expériences déjà effectuées afin de répondre sur ce point. 

Il montra le premier cadran. 

— Cet instrument enregistre les battements de cœur du sujet. Ceci montre la conductivité électrique de la peau dans la paume de la main, une mesure de la transpiration qui augmente avec la tension. Et ceci – montrant du doigt l’appareil à ruban et stylet – indique le dessin et l’intensité des ondes électriques émanant du cerveau. On a démontré, chez les sujets humains, que tous ces relevés variaient considérablement selon qu’on disait ou non la vérité. 

Il prit deux grands morceaux de carton, l’un rouge, et l’autre noir. Le rouge était un carré d’un mètre de côté environ ; le noir un rectangle d’un mètre et demi de long. Il s’adressa alors au Kanamite : 

— Lequel de ces deux objets est plus long que l’autre ? 

— Le rouge, répondit le Kanamite. 

Les deux aiguilles bondirent affolées et le graphique, sur le ruban qui se déroulait, fit de même. 

— Je vais répéter la question, dit le docteur. Lequel est plus long que l’autre ? 

— Le noir, dit la créature. 

Cette fois, les instruments conservèrent leur rythme normal. 

— Comment êtes-vous venu sur cette planète, reprit le docteur. 

— À pied, répliqua le Kanamite. 

Les instruments réagirent violemment à nouveau et l’on entendit des rires étouffés dans la salle. 

— Une fois de plus, dit le docteur, comment êtes-vous arrivé sur cette planète ? 

— En astronef. Cette fois les instruments ne bronchèrent pas. 

Le docteur se tourna à nouveau vers les délégués : 

— Un grand nombre d’expériences analogues ont été pratiquées, reprit-il, et mes collègues ainsi que moi-même, avons acquis la certitude que ce mécanisme fonctionne parfaitement. Maintenant, il regarda alors le Kanamite, je m’en vais demander à notre hôte distingué de répondre à la question posée lors de la dernière session par le délégué de l’U.R.S.S., à savoir quels sont les motifs des Kanamites pour apporter d’aussi précieux cadeaux aux peuples de la terre ? 

Le Kanamite se leva. Parlant cette fois en français, il dit : 

— Dans ma planète nous avons un proverbe qui dit : Il existe plus d’énigmes dans une pierre que dans la tête d’un philosophe. Les motifs qui font agir un être intelligent, bien qu’ils puissent parfois sembler obscurs, sont la simplicité même en comparaison du fonctionnement complexe de l’univers naturel. C’est pourquoi j’espère que les peuples de la terre vont me comprendre et me croire lorsque je déclare que notre mission sur ce globe est uniquement la suivante : vous apporter la paix et l’abondance dont nous jouissons nous-mêmes et dont nous avons déjà fait profiter, dans le passé, d’autres races sur toute l’étendue de la galaxie. Lorsque votre monde ne connaîtra plus la faim, la guerre et les souffrances inutiles, ce sera là notre récompense. 

Et les aiguilles n’avaient pas remué une seule fois. 

Le délégué de l’Ukraine se leva d’un bond, demandant à être entendu, mais le secrétaire général annonça la clôture de la séance. 

Je rencontrai Grégori comme nous quittions la salle. Il avait le visage rouge d’émotion. 

— Qui a monté ce numéro de cirque ? demanda-t-il. 

— Ces tests m’ont paru parfaitement honnêtes, lui dis-je. 

— Un véritable numéro de cirque ! reprit-il avec véhémence. Une bouffonnerie de bas étage ! S’ils étaient honnêtes pourquoi avoir étouffé la discussion ? 

— Il y aura tout le temps de discuter demain, sûrement. 

— Demain, le docteur et ses instruments seront à Paris. Il peut se passer beaucoup de choses d’ici demain. Au nom du bon sens, mon vieux, comment avoir confiance en une telle créature. 

J’étais quelque peu irrité, et répliquai : 

— Êtes-vous certain de ne pas vous tourmenter davantage au sujet de leur politique que de leur apparence ? 

Il fit : « Bah ! » et s’en alla. 

Le lendemain, les rapports commencèrent à affluer en provenance des laboratoires officiels du monde entier où l’on avait fait l’essai de la source d’énergie proposée par les Kanamites. Ils étaient débordants d’enthousiasme. Je ne comprends rien à ces questions moi-même, mais il semble que ces petites boîtes métalliques donnaient davantage d’énergie électrique qu’une pile atomique et ceci pour une bouchée de pain et presque indéfiniment. Et on disait qu’elles étaient si bon marché à confectionner que tout le monde pourrait en posséder une à soi. Au début de l’après-midi le bruit courait que dix-sept pays avaient déjà commencé la concentration d’usines pour en assurer la fabrication. 

Le lendemain, les Kanamites sortirent les plans et des spécimens d’un instrument qui permettait d’augmenter de 60 à 100 % la fertilité de n’importe quelle terre arable. Il accélérait la formation des nitrates dans le sol, ou quelque chose d’analogue. On ne voyait plus de manchettes de journaux qui ne fussent consacrées aux Kanamites. Et, le lendemain, ils lancèrent leur bombe. 

— Vous disposez désormais de possibilités illimitées pour augmenter vos ressources alimentaires, dit l’un d’eux. Il montra, de sa main à trois doigts, un appareil sur une table devant lui. C’était une boîte sur un trépied avec un réflecteur parabolique à l’avant. Nous vous offrons aujourd’hui un troisième cadeau au moins aussi important que les deux premiers. Il fit signe aux opérateurs de télévision d’avancer leurs caméras afin de pouvoir prendre des gros plans. Puis il saisit un grand morceau de carton couvert de dessins et de mots anglais. Nous vîmes celui-ci sur l’immense écran au-dessus du podium ; il était clairement lisible. 

— On nous a dit que cette télédiffusion était relayée dans le monde entier, continua le Kanamite. Je voudrais que tous ceux qui possèdent un appareil pour prendre des photographies d’un écran de télévision s’en servent maintenant. 

Le secrétaire général se pencha en avant et posa vivement une question, mais le Kanamite n’y prêta pas la moindre attention. 

— Cet appareil, poursuivit-il, projette un champ dans lequel aucun explosif de quelque nature qu’il soit ne peut détoner. Il se fit un silence surpris, car personne ne comprenait exactement. 

Le Kanamite dit alors : 

— On ne peut le supprimer. Si une nation en possède le secret, il doit appartenir à toutes. Et comme personne ne semblait encore comprendre, il expliqua brutalement : Il ne pourrait plus y avoir de guerre. 

C’était bien la plus stupéfiante nouvelle de l’âge d’or, et elle s’avéra parfaitement exacte. Les explosions dont parlaient les Kanamites comprenaient également celles de l’essence ou des moteurs diesel. Ils avaient simplement rendu impossible de monter et organiser une armée moderne. Nous aurions évidemment pu en revenir aux arcs et aux flèches, mais cela n’aurait jamais donné satisfaction aux militaires, particulièrement après avoir disposé de la bombe atomique et du reste. Il n’existerait plus, en outre, de raisons de faire la guerre, puisque toutes les nations posséderaient bientôt toutes les richesses qu’elles pouvaient désirer. 

Personne ne songea plus à ces expériences avec les détecteurs de mensonges, ni à demander à nouveau aux Kanamites quelle politique ils poursuivaient. Grégori lui-même se sentit décontenancé, car il n’avait rien sur quoi étayer ses soupçons. Je démissionnai de mon poste aux Nations Unies quelques mois plus tard, car je prévoyais que j’allais bientôt me trouver en chômage. Une activité bourdonnante régnait encore aux Nations Unies, à cette époque, mais, d’ici un an ou deux, il n’y aurait plus le moindre travail. Toutes les nations de la terre étaient sur le point de connaître la prospérité et il n’y aurait plus beaucoup d’arbitrages à faire. 

J’acceptai un poste de traducteur à l’ambassade kanamite, et ce fut là que je rencontrai à nouveau Grégori. Je fus content de le voir mais me demandai ce qu’il pouvait bien faire là. 

— Je vous croyais dans l’opposition, lui dis-je. Vous n’allez pas me répondre que vous êtes maintenant convaincu de la bonté des Kanamites ? 

Il parut quelque peu gêné. 

— Ils ne sont pas ce qu’ils semblent, en tout cas, dit-il. 

C’était à peu près la limite de ce qu’il pouvait raisonnablement concéder, et je l’invitai à venir prendre un verre au salon de l’ambassade. C’était une pièce intime et il se fit plus loquace après le second cocktail. 

— J’éprouve pour eux une curiosité passionnée. Je les déteste toujours rien qu’à les voir – cela n’a pas changé, mais je suis capable maintenant de me raisonner. Vous aviez évidemment raison ; ils ne nous veulent que du bien. Mais voyez-vous… Il se pencha vers moi par-dessus la table, on n’a jamais répondu à la question du délégué soviétique. 

Je crois bien que je poussai un rugissement. 

— Non, vraiment, poursuivit-il. Ils nous ont dit ce qu’ils comptaient faire. Nous apporter la paix et l’abondance. Mais ils n’ont jamais dit pourquoi ? 

— Mais les missionnaires… 

— Sornettes ! interrompit-il furieusement. Les missionnaires sont poussés par des raisons religieuses. Si ces créatures possèdent une religion quelconque, ils n’y ont jamais fait la moindre allusion. Qui plus est, ils n’ont pas envoyé un collège de missionnaires, mais une délégation diplomatique, un groupe représentatif de la volonté et de la politique de leur peuple tout entier. Or, en quoi notre prospérité peut-elle intéresser les Kanamites en tant que peuple ou nation ? 

— Intérêt culturel ?… 

— Culturel, mon œil ! Non, il s’agit de quelque chose de beaucoup moins évident et en relation avec leur psychologie et non pas la nôtre. Mais, croyez-moi, il n’existe point d’altruisme entièrement désintéressé. D’une manière ou d’une autre, ils ont quelque chose à y gagner. 

— Et c’est la raison de votre présence ici ? Vous essayez de découvrir de quoi il s’agit ? 

— Parfaitement exact. J’ai demandé à faire partie d’un des groupes d’échange de dix ans, mais je n’ai pas réussi. Le quota était rempli une semaine après qu’ils en eurent fait l’annonce. À défaut, donc, je suis venu ici. J’étudie leur langage. Vous savez qu’une langue reflète l’essentiel de la psychologie de ceux qui l’utilisent. Je commence à me débrouiller assez bien en ce qui concerne la langue parlée. Elle n’est pas véritablement difficile et j’y relève déjà des indices. Je suis sûr que je finirai par trouver la réponse. 

— Le désir de puissance, dis-je, et nous retournâmes à notre travail. 

Je vis fréquemment Grégori à la suite de cette rencontre et il me tenait au courant de ses progrès. Un mois plus tard environ, je le trouvai un jour très bouleversé. Il avait réussi à se procurer un livre des Kanamites et s’efforçait de le déchiffrer. Ils écrivaient au moyen d’idéogrammes encore beaucoup plus ardus que le chinois, mais il était décidé à en venir à bout, même si cela devait lui prendre des années. Il me demanda de l’aider. 

En dépit de mes sentiments, je me sentis intéressé. Je savais qu’il s’agissait d’un travail de longue haleine. Nous passâmes quelques soirées ensemble à cette étude, utilisant les renseignements fournis par les notices affichées par les Kanamites et le lexique anglais-kanamite des plus sommaires destiné au personnel. Ma conscience me tourmentait à cause du livre dérobé mais, peu à peu, je ne pus m’empêcher de me passionner pour ce problème. Les langues sont mon domaine, après tout. 

Nous réussîmes à interpréter le titre en quelques semaines. C’était : « Comment servir l’Homme. » il s’agissait évidemment d’un manuel à l’usage des nouveaux membres du personnel de l’ambassade. Il en arrivait sans cesse d’autres maintenant. Une cargaison par mois environ. Ils fondaient toutes sortes de laboratoires de recherches, des cliniques et autres établissements. S’il existait encore quelqu’un sur terre, à part Grégori, pour douter des intentions de ses créatures, il devait se trouver quelque part au fin fond du Thibet. 

Il était stupéfiant de voir les changements survenus depuis moins d’un an. Il n’existait plus d’armées permanentes, plus de disettes, plus de chômage. Lorsque vous preniez un journal, ce n’étaient plus des histoires de « bombe atomique » ou de « V-2 » qui vous sautaient aux yeux. Les nouvelles étaient toujours bonnes et il était difficile de s’y habituer. Les Kanamites travaillaient à la biochimie humaine et on n’ignorait point, dans les milieux qui touchaient à l’ambassade, qu’ils seraient bientôt en mesure de proposer des méthodes permettant de rendre notre race plus grande, robuste et saine, d’en faire pratiquement des surhommes et ils entrevoyaient des possibilités de guérison pour les troubles cardiaques et le cancer. Je restai sans voir Grégori pendant une quinzaine, j’avais besoin depuis fort longtemps de prendre des vacances et j’étais allé les passer au Canada. À mon retour, je fus atterré par le changement que je remarquai chez lui. 

— Que diable vous est-il arrivé, Grégori ? demandai-je. Vous avez l’air d’un fantôme ! 

— Venez au salon. 

Je l’y suivis et il se servit un whisky bien tassé comme s’il avait besoin d’un cordial. 

— Allons, mon vieux, qu’est-ce qu’il y a ? insistai-je. 

— Les Kanamites m’ont inscrit sur la liste des passagers pour le prochain navire d’échanges, dit-il. Vous aussi, sinon je ne vous en parlerais pas. 

— Eh bien ? dis-je. 

— Ce ne sont pas des altruistes. 

— Que voulez-vous dire ? 

— Exactement ce que je vous ai dit, ce ne sont pas des altruistes. 

J’essayai de le raisonner. Je lui fis remarquer qu’ils avaient fait de la terre un paradis, en comparaison de ce qu’elle était auparavant il se contenta de hocher la tête. 

Alors je lui dis : « Et ces tests avec les détecteurs de mensonges, pouvez-vous y trouver à redire ? 

— Une farce, répliqua-t-il d’une voix blanche. Je vous l’avais déjà déclaré à cette époque, pauvre imbécile. Ils ont dit la vérité, cependant, si on les prend à la lettre. 

— Et le livre ? poursuivis-je, agacé. Que pouvez-vous objecter à ce livre, « Comment servir l’Homme » ? Il n’était pas destiné à être lu par vous. Il est donc sincère. Comment expliquez-vous cela ? 

— J’ai déchiffré le premier paragraphe de ce livre, dit-il. Pourquoi donc croyez-vous que je ne dors plus depuis une semaine ? 

— Pourquoi ? repris-je. Il eut un curieux sourire de travers, comme s’il avait eu envie de pleurer plutôt. 

— C’est un livre de cuisine, dit-il. 

FIN

Damon Knight : Comment servir l’homme 
  • Auteur : Damon Knight
  • Titre : Comment servir l’homme
  • Titre original : To Serve Man
  • Publié dans : Galaxy Science Fiction, novembre 1950

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